Des St Pierrais et Miquelonnais partagent leur rapport à la mer
"Je suis eau qui rencontre eau"
La mer m’aspire, m’absorbe, m’ingère et m’invite aussi.
Elle m’envahit, m’imprègne, m’inonde. Elle s’immisce, se glisse et imbibe.
Et puis me digère, me laisse à même l’écume ou la plage.
Elle me tire, me porte, me libère et m’envole vers les rêves et les cauchemars tout à la fois.
Je me liquéfie, me dilate, m’épand.
Je ne suis plus matière, je deviens évanescent, ectoplasme.
Je voyage à travers l’espace et les songes.
Le temps n’est plus.
Je m’évade, fuis et tout mon moi aqueux vibre et entre en communion avec l’océan.
L’eau appelle l’eau et se recharge dans un mouvement perpétuel et infini.
L’eau donne ! Et prend aussi !
Je suis goutte d’eau perdue dans l’immensité, communiant avec toutes les autres gouttes.
Je suis eau qui rencontre l’eau.
Je suis atome ou molécule.
Alors je pars sans limite ni frontière, aspiré par l’espace vierge de toute présence humaine.
Loin des problèmes et de leur source. Loin de cette humanité qui remet son sort entre les mains de l’incompétence notoire des bonimenteurs et des salauds, des profiteurs et des calculateurs, des imposteurs et de leurs mensonges, de leurs pathologies qui nous conduisent à notre fin... et au galop. Je m’enfonce dans les bleus, gris, noir, vert... Je vise une limite fictive entre le ciel et la mer qui n’est jamais atteinte. Pas de départ. Pas d’arrivée. Mais j’avance, non sans heurts. L’absolu se mérite. Un goût ou une illusion de liberté.
Les questions fusent. Une, puis d’autres.
Comment peut-on si mal traiter celle qui offre avec tant de générosité ?
Un son... différent ! Comme une trompette mal jouée. Un souffle caverneux.
Une masse informe sombre qui glisse sur l’eau et flotte sous l’eau, un vol de géants tout en douceur et langoureux... Léger comme l’air. Une présence qui en révèle d’autres. Tout plein d’autres ! La vie est là ! Cachée qui ne se dévoile que très sporadiquement et partiellement. Sans artifice ni faux semblant. Sans clinquant ni étincelant. Mais tout en beauté et couleurs vives chatoyantes. Et toujours la mer ! Sans concession, sans facilité. Opposée à toutes les incongruités temporelles de ces sociétés engourdies qui prônent une facilité mensongère et l’accès à tout par tous en claquant des doigts ou en évitant de réfléchir.
Pour qui veut profiter, il faut apprendre et souffrir. Apprendre à attendre... Pour mieux désirer. Désirer mais sans être exaucé nécessairement. Et parfois le moment arrive. L’instant ! Un ravissement, loin d’un bonheur doctrinaire qui serait dû et routinier donc chiant de facilité insensée. Derrière moi, un voile a effacé le monde dans lequel j’habite et que je partage avec ceux de mon espèce. Est apparue l’estampe des iles. Comme une peinture japonaise. Un monde disparait pour céder la place à un autre. Juste... Woaw ! Merveille ! Temps suspendu.
Je suis seul au monde ! Loin de tous ! Mais proche de tout. D’autant plus fragile et vulnérable.
Mais plus vivant que jamais. Plus éveillé et sensible. L’illusion d’être libéré des conséquences de nos actes sur la terre mère. Eloigné de la schizophrénie propre à notre espèce.
Une vague. Je tressaute. Petite. Je la passe. Je pense à la liberté qui n’en n’est pas une, qui nous
embarrasse l’esprit comme un diktat alors que seule la Nature et la vie commandent. Notre vraie liberté, que cette terre nous accorde de vivre. Vivre ! Être en vie quand tant d’autres n’y sont plus et qu’encore plus n’y seront plus très vite ! Quand le temps file sans pause. Futilité de l’existence et des échelles de temps de présence sur la terre. En sommes-nous conscients ? Il faut croire que non, pour que nous revendiquions tant de ce qui ne nous est pas du ! Ou au contraire ! Peut-être sommes-nous tellement conscients de notre fatuité et notre impermanence, que nous dénions toute idée de respect, de faire perdurer le monde. Peut-être que l’on détruit les arbres millénaires, les roches et détruisons les paysages et la terre pour cette raison ?
Une autre vague.
Plus grosse.
Je ralentis ma marche forcée.
Pour mieux appréhender la rencontre et la
descente.
J’épouse.
Me cale.
Me rassure.
Je glisse.
J’appartiens à cette espèce qui se targue d’être deux fois sages, deux fois plus intelligente mais qui se mine en dépit de cela. Qui détruit ce qui lui donne son droit à vivre, à profiter l’instant d’une vie, comme un éclair sur l’échelle des temps. Une espèce qui conçoit les outils mais ne mesure pas les conséquences de ce qu’elle crée et produit. Qui revendique l’intelligence dans une insouciance idiote. On marie la bêtise et on se chie dessus. Je sens la dépression. Le temps change et le ton aussi. L’intelligence se pare d’ombre et glisse doucement vers la prochaine vague qui arrive.
La voilà !
Plus grosse !
Comme un message, un avertissement.
Je suis libre de vivre.
Un point c’est tout.
Libre de vivre par ce qu’elle le veut bien.
Alors je dois rester vigilant, concentrer et mériter ce qui va arriver.
Je suis de plus en plus vivant.
Eveillé à mon sort et à ma propre fébrilité.
Pour le reste, cette illusion de liberté et de bonheur conjugués que j’ai façonné et décrété, ces Dieux que j’ai inventés, cette vérité qui change d’une personne à l’autre, je dois juste me rappeler qu’il s’agit d’illusions.
De mensonges.
D’inventions.
D’une fiction irrationnelle, irréelle qui vient de s’envoler.
Une fiction que d’aucuns tentent de théoriser, de valider comme une vérité, un fait, mais bien sûr, interprété ! ... La schizophrénie débarque ! Les fous sont au pouvoir.
Et encore, les vagues qui se succèdent, se suivent, plus ou moins grosses et agressives, plus ou moins douces et rassurantes. La mer quoi ! Pour le meilleur et le pire. Le pire ou le meilleur ?
Seuls la vie, l’amour, le rêve, la création, qui sont au plus haut point irrationnel sont bien de réels espaces de liberté. Provisoires et fragiles, temporaires et futiles... Dangereux et dissidents. Mais libres malgré tout ! Comme ces vagues ! Comme cet espace maternel, ouvert et généreux. Infini aux yeux. Prise de conscience.
La mer est notre mère avant même notre maman.
Qu’on le veuille ou non !
Ma mer est mon sang, mon fluide, mon énergie et mon esprit.
Elle me fait vibrer et avancer.
Elle m’apprend.
Ma mer est ma liberté et mon essentiel.
Elle est la source et le fil de l’eau... Pis ! De ma vie !
J’ouvre des horizons comme des portes qui se referment comme des mirages.
Terre !
Je dois rentrer. Je vais rentrer. Manger ! Faim ! Maison.
Dès que possible je retournerai regarder le grand miroir pour y voir les oiseaux et les baleines, les requins, les tortues et ce qui m’est invisible mais que mon esprit façonne, modèle et conceptualise. Je vois ce qui n’est pas visible. Je suis au-delà des songes. Mon esprit est éthérisé... projeté...
Dématérialisé.
Je suis eau et sel.
Mer infinie.
Merde ! Mer, je dois rentrer mais reviendrai.
"240 secondes"
Certains partent en mer, d’autres prennent la mer…moi, j’aime me fondre en la mer.
Voilà maintenant 60 secondes que ma respiration a quitté le superflu pour adopter
le suspendu. Cette minute d’adaptation est un mélange d’assouvissement et de
langueur; j’aimerais une diastole d’esprit instantanée au contact de l’eau.
J’imagine que cette symbiose s’est estompée dans une consommation sans retenue
d’oxygène, puisque j’ai quitté ma référence amniotique depuis plus de cinq décennies déjà.
Je suis 80% d’eau salée, paraît-il….Durant cette deuxième minute de suspension,
les 20% étrangers au milieu qui m’accueille, remettent en question leur légitimité.
Cette commensalité me questionne! C’est la transition et… finalement… je bascule.
A partir de maintenant, je suis bien! Pourtant, je ne me suis pas liquéfié, je ressens
mes jambes en apesanteur et tout mon corps au repos. J’ai un peu cette même
sensation qu’au beau milieu du Pacifique, entre les Galápagos et les Marquises…un
des lieux les plus éloignés de la côte, sur cette planète qu’on devrait appeler Mer.
Après trois minutes, je commence à sentir la sensation du plongeur en bouteille
immergé par 80 m de fond…une ivresse apprivoisée où l’appréciation du silence se
fait dans un tumulte grandissant. En scaphandre, il me faudrait plus de 20 minutes
avant de respirer à l’air libre. Mes pensées s’entrechoquent comme des électrons qui quittent leur galaxie.
Une tape sur l’épaule me signale la fin…cela fait quatre minutes que je suis en
immersion, mon binôme me rappelle vers la surface. En fusion dans cet élément,
vais-je rapatrier les 20% dont l’apnée s’est accaparée dans la fission du corps et de l’esprit ?
Mes yeux s’ouvrent et c’est la surface que je vois. Quelle est la nature de cette
frontière? Une peau ondulante sépare deux éléments qui me soudent à la vie.
Je ne saurais me contenter d’une évolution laminaire.
"Partir en mer c'est venir vers soi "
En mer on ne rêve pas
On est connecté à soi même
On pense moins
On ne pense pas le mal pour sûr
Moins je pense, plus je suis!
Partir en mer c'est venir vers soi
C'est quitter un peu sa condition humaine
Se ressourcer, car tout est en nous
C'est aussi se réaliser, franchir ses doutes, ses peurs
Sans oublier la notion de voyage, la rencontre de l'autre
Depuis plusieurs années j'ai constaté la disparition des puffins majeurs
Je ne les vois plus au large
J'aimais les voir planer au ras d'une mer un peu agitée, en utilisant les turbulences du vent créées par les vagues, sans battre des ailes
J'aimais le bout de leurs ailes qui venaient toucher l'eau
Fascinant de précision.
La nature est parfaite quoi!
"La mer, le monde du silence? "
Ça splashe
Ca vibre
Ca crisse
Ca siffle
Ca sonne
Ca chante
Du calme à la furie c’est toujours le même élément liquide.
Une mélodie sans cesse renouvelée
Désormais écoutée, enregistrée, décortiquée
Mais est-elle entendue ?
Une étendue sur 70% du globe
70% de notre corps
Et nous n’arrivons pas à nous connecter, à dialoguer à nous comprendre.
Entendons-la nous parler à sa façon avec ces millions de voix, de sons, de bruits, de chants :
"je vous ai créé, ne me faites pas de mal car c’est à vous que vous en ferez".
Plongeons en elle, regardons la, sa beauté nous émerveille et nous effraie parfois.
Prenons soin d’elle, et donc prenons soin de nous.
Respectons-là et elle restera notre bien le plus précieux pour vivre sur la planète bleue.